9 mai 2022 : l’Europe face à ses défis existentiels (Analyse)

mardi 17 mai 2022,par Jean-Bosco Nzosaba

Milan, juin 1985. Les dirigeants européens, qui tenaient leur Conseil dans la ville italienne, décidèrent d’instaurer la ‘’Journée de l’Europe’’ célébrée, depuis, le 9 mai de chaque année.
En effet, le 9 mai 1950, eut lieu un événement galvaniseur qui incita les pays européens à enterrer définitivement la hache de guerre et à concentrer leurs efforts sur la coopération, le développent la paix et la prospérité de leurs peuples. C’est cette idée qu’avait développée il y a 72 ans, jour pour, jour le ministre français des Affaires étrangères Robert Schumann dans un discours historique.
Le point central de ce discours consistait en un appel à la mise en commun de la production du charbon et de l’acier de la France et de l’Allemagne, les deux principaux pays européens qui, en 50 ans, s’étaient affrontées dans trois guerres dévastatrices pour l’une et l’autre.
« Le gouvernement français propose de placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d’Europe. (…) La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l’Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible », avait notamment affirmé Robert Schuman, dans un discours considéré comme la pierre inaugurale de l’édifice européen.
Moins d’un an après, le 18 avril 1951, six États européens (l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas) signèrent le traité de Paris, établissant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), première institution commune européenne.
Six ans plus tard, le 25 mars 1957, les six pays signèrent le traité de Rome, instituant la Communauté Economique Européenne (CEE) qui devient ‘’Union Européenne’’ après la signature en 1992 du traité de Maastricht. Un pas important qui a préparé le terrain à la mise en circulation de l’euro et à la mise en œuvre des acquis de Schengen.
Cela fait sept décennies que les Européens, dans leur strict cadre géographique, s’efforcent de bâtir les ponts de la coopération et de l’entente et d’abattre les murs de l’incompréhension, de la mésentente et de l’hostilité.
L’effondrement de l’Union soviétique n’a pas permis seulement à l’OTAN de s’étendre vers l’Est de l’Europe, mais aussi à l’élargissement de l’Union européenne.
Dans un essai intitulé ‘’Réflexions sur l’avenir de l’Union européenne’’ publié aux ‘’Editions de la Maison des sciences de l’homme’’, Xu Tiebing, professeur et chercheur en relations internationales, écrit : « Parallèlement à l’élargissement de l’OTAN, l’Union européenne s’est étendue dans la même direction, ce qui a consolidé son rayonnement sur l’ensemble de l’Europe. On peut dire aujourd’hui sans exagération que l’UE est d’ores et déjà devenue synonyme d’Europe : l’UE a non seulement attiré les pays Scandinaves traditionnellement neutres, mais aussi les pays de l’Europe centrale et orientale (PECO), anciens membres du Pacte de Varsovie, voire certains pays issus de l’éclatement de l’URSS. »
Cette détermination de l’UE de s’étendre vers l’Est a fait que le nombre des pays membres passe en un demi-siècle de six à 28, avant de se stabiliser à 27 le 31 janvier 2020 après que les Britanniques ont décidé de quitter l’Union.
Le Brexit a constitué un choc pour les Européens qui ont commencé à douter de la pérennité de leurs institutions et de la solidité de leur intégration. En fait, ce doute a commencé à s’installer bien avant le retrait britannique de l’Union européenne.
Xu Tiebing écrit dans l’essai susmentionné : « Chez les Européens, l’optimisme a cédé la place à la perplexité. Les déséquilibres engendrés par la globalisation débridée, accentués par la crise financière mondiale, ont ébranlé le système social à l’européenne, la plus grande fierté de l’Union. Le processus d’intégration interne se ralentit ; il a même subi un brusque coup d’arrêt lors du rejet du traité constitutionnel. Les liens entre la France et l’Allemagne, qui formaient pour l’Europe une double ‘locomotive’, se sont distendus, alors même que les nouveaux adhérents de l’Europe centrale et orientale revendiquent de plus en plus ouvertement une meilleure représentativité dans l’organe décisionnaire de l’Union, tout en remettant en cause les actuelles modalités d’allocation des ressources et de répartition du pouvoir. »
La guerre d’Ukraine a fortement aiguisé les tiraillements entre les membres et intensifié la remise en cause des modalités de fonctionnement des institutions de l’UE. Les 27 membres se sont mis dans une situation inextricable dans la mesure où, en dépit de leur forte dépendance du pétrole et du gaz russes, ils ont choisi de s’engager inconditionnellement à côté des Etats-Unis dans le processus de sanctions économiques sans précédent contre la Russie.
La contestation de plus en plus forte par les membres est-européens des décisions prises à Bruxelles, la brèche laissée ouverte par le Brexit, le marasme économique causé par la Covid-19 et aggravé par la guerre d’Ukraine, autant d’éléments qui poussent de nombreux européens à se poser la question de la « raison d’être » de l’UE.
En fait, ce questionnement existentiel a commencé il y a déjà une dizaine d’années, avant le Brexit, la Covid et la guerre d’Ukraine.
Dans leur livre ‘’L’Union européenne, entre crises et renouveau’’, Louis-Marie Clouet et Andreas Marchetti, écrivent : « Comme en 2000 se pose, au début de la deuxième décennie du XXIe siècle, la question de la ‘’raison d’être’’ de l’UE, mais cette fois dans une perspective différente.
Il s’agit moins de concevoir quelle est la ‘’finalité’’ du projet européen que de déterminer si ce projet s’adapte de manière adéquate aux défis actuels et si son évolution future lui permettra de répondre à ceux de l’avenir. »
En ce début de la troisième décennie du XXIe siècle, la question de la ‘’raison d’être’’ de l’UE va se poser de manière plus différente et plus insistante encore.
Si l’UE est tenue de relever les défis immédiats et brûlants que pose la dépendance énergétique de ses économies de l’approvisionnement en Russie, les défis qui l’attendent après la guerre d’Ukraine ne sont guère simples ni faciles à relever.
Le monde de l’après- guerre d’Ukraine sera forcément différent de celui d’avant. La question qui se posera alors est comment les 27 arriveront-ils à trouver le consensus requis sur la nature des nouvelles relations à établir avec les Etats-Unis, l’Otan, la Russie et la Chine ?
L’Europe se transformera-telle en un pôle politique et économique indépendant et influent sur le plan mondial ou continuera-t-elle à obéir au doigt et à l’œil aux ordres venus de Washington ?
Pour répondre à ces questions existentielles, peut-être l’UE aura-t-elle alors besoin d’un nouveau Robert Schuman version XXIe siècle.

source : www.aa.com /fr

 

 

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